LITTERATURE

Littérature: Un voyage à New York lu par Emeraude Kouka

Poète, auteur de Mélodie des larmes (chapitre.com, 2016), Sous les ailes de l’aurore (Les éditions du net, 2016) et Ces fruits de mon jardin intérieur (Edilivre, Paris, 2016), Prince Arnie Matoko est né en 1982 au Congo où il vit et exerce ses fonctions de magistrat. Un voyage à New York est une autre de ses publications; un recueil de nouvelles paru chez l’Harmattan Congo-Brazzaville, en 2016.

« Alea jacta est », cet apophtegme latin de Jules César, qui signifie en français: le sort en est jeté, trouve, pour sûr, son sens le plus patent dans la narration de Prince Matoko, fort semblable au dessein d’un dieu qui fait peser sur ses sujets un inéluctable fatum. Le lecteur averti verra dès les premières pages de chaque nouvelle la finalité des héros. Ainsi, l’infortune vous rattrapera selon que vous recevrez une tunique de Nessus, comme dans la première nouvelle, ou que vous foulerez la ploutocrate ville de New York, comme dans la dernière. Au fond, le registre est tantôt pathétique, tantôt tragique. A peine l’auteur s’autorise-t-il une heureuse fin avec La femme pardonnée. Les autres relations taillent au burin la femme dans son ignoble apparat: cupide, imprudente, inconstante en amour, uniquement définie par son sexe — elle n’est que rarement capable de défier la subornation et de résipiscence. Dans les illustres Chroniques congolaises, avec entre autres La croqueuse de diamants, Jean-Baptiste Tati-Loutard présentait Marie-Yolande  comme une femme vénale comme notre auteur aujourd’hui Gladys dans Cadeau empoisonné. Aussi, en peintre lucide de la féminine condition, il n’élague pas sa posture victimaire; donc, elle est naïve,  sujette à des rites mystiques auprès d’hommes qui, en quête de fortune, vont jusqu’à pactiser avec le Diable. Pour ce faire, le nom de la célèbre sirène ponté-negrine Tchikamsi est maintes fois évoqué, ce qui montre quand bien le surnaturel habite la psyché commune et établit des adeptes, en dépit de son invraisemblance. Il est encore loisible d’admettre une intertextualité avec l’œuvre de Tati-Loutard qui dans Fantasmagories nous fait un aperçu de l’extraordinaire ville de Pointe-Noire, avec ses sirènes, ses ectoplasmes, ses étrangetés. L’infidélité se greffe à ce salmigondis de vices, interpellant aussi la gent masculine dont la propension et l’incontinence étale la criarde faiblesse de la femme. Outre ce, l’auteur aborde l’immigration illégale dans La Traversée et Un voyage à New York, cette tendance dont on ne manque de parler aux dernières nouvelles; car il n’est que quête d’un Eldorado qu’il s’agisse de la démarche de qui veut atteindre la Sicile par la Libye et finit dans le ventre de la Méditerranée ou qui tient à habiter un pays occidental, même en situation irrégulière. L’Afrique est donc le continent de la précarité où beaucoup d’enfants n’envisagent plus leur avenir. Ce rêve africain est d’ailleurs évoqué, avec la plus grande acuité, dans le roman Le ventre de l’Atlantique de la sénégalaise Fatou Diome qui place dans le personnage Madické l’ambition de devenir footballeur professionnel en Europe. Au passage, une question corollaire est soulevée, dans Un voyage à New York précisément: le racisme, car il est une évidente causalité entre l’immigration et l’acceptation de l’autre, l’autre qui paraît différent. La position de l’auteur, à ce propos, est démontrée: le racisme n’a plus sa place. Hélas! L’écho est bien vaseux à une période où la montée du populisme dans les grandes puissances, fait courir le risque du repli sur soi et donc au monde de se lézarder.

Par ailleurs, le langage est, tant soit peu, normatif, tant du point de vue lexical que syntaxique. Les phrases sont parfois complexes, et les principales règles de syntaxe respectées, avec des tolérances, notamment des ellipses et des abréviations lexicalisées tel que « CHU » pour Centre hospitalier universitaire à la page 121. Le vocabulaire est courant, la concordance des temps scrupuleuse et la forme interrogative directe inversée autant dans la narration que dans les dialogues. Les digressions sont les plus évidentes, l’épiphrase comme à la page 68, dans la nouvelle La femme pardonnée: « J’ai tellement réfléchi que je crois que la seule issue pour moi de sortir de cette ornière, c’est de partir, de divorcer » pour insister sur une idée, l’analepse comme à la page 15 où le narrateur rappelle le passé de Gladys, personnage principal de la nouvelle Cadeau empoisonnée.

Tout bien considéré, ce livre est une saillante exhortation au mieux-être. A l’envie, l’auteur use de digressions pour conseiller, plaindre, suggérer, par le biais de la morale chrétienne ou de personnelles supputations, donnant ainsi à certains passages les allures d’un essai. Il suit souvent un schéma bien défini: l’utilisation de la particule vocative « Ô» pour désigner une allégorie, laquelle allégorie est répétée dans une phrase nominale sous une interpellation anaphorique, ponctuée de point d’exclamation, suivit d’un discours. A la page 93 par exemple, il rompt la narration du Mari cocufié pour écrire: « Ô Afrique! Afrique! Réveille-toi maintenant, car à force de dormir, tu risques de ne voir pas se lever le soleil de ta liberté et de ta gloire! Quel peuple, quelle nation, dis-le Afrique, est devenu glorieux, puissant, fort et prospère, sans puiser dans les profondeurs de lui-même, dans les valeurs et principes positifs et forts de son propre être, de son être profond, de sa culture, de ses traditions ». A la page 95 dans la même nouvelle: « Ô amour! Amour! Combien de fois, à cause de toi, les hommes ont transgressé les lois et coutumes, ont franchi les convenances sociales! (…) Pourtant, ici on t’invoque et te bénit. Là on te maudit! Chose curieuse que Dieu ait crée une chose aussi curieuse que l’amour dans un monde aussi drôle que le nôtre. Les hommes n’en saisiront jamais la profondeur. » Toutefois, l’œuvre n’est pas exempte de méprise. En effet, dans Le mari cocufié, le procès traditionnel qui règle un litige d’adultère est un flagrant anachronisme; la modernité du déroulement de l’audience — au point où le personnage Bakala, à la page 104, appelle le chef de famille par « Monsieur le Président » —  fait penser à une juridiction de droit commun, complètement démarquée de la démarche ancestrale.

Emeraude Kouka

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