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Découverte: Master Soumy, du rap à l’engagement citoyen pour un Mali de paix

Ismaila Doucouré à l’état civil, Master Soumy son nom d’artiste. Master un nom donné par un ancien camarade de classe, un ami d’enfance. Soumy c’est le diminutif de Soumaila. Il était à Dakar, du 23 au 27 Juillet 2018 dans le cadre de la première Université Populaire de l’Engagement Citoyen (UPEC). Une occasion mise à profit par Africulturelle pour revenir sur l’engagement de ce rappeur, sa perception de la crise malienne, et sa musique. Entretien réalisé par Oumy Régina Sambou

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Vous êtes à Dakar dans le cadre de la première Université Populaires de l’Engagement Citoyen (UPEC). Qu’est-ce qui vous a poussé à y participer ?

D’abord je tiens à féliciter les initiateurs, à saluer leur courage du fait d’avoir comme souci de regrouper l’ensemble de la jeunesse, l’ensemble des activistes, des mouvements sociaux qui luttent tous les jours pour la justice, l’égalité, pour préserver la dignité humaine dans différents pays du continent. Le fait même de regrouper tous ces jeunes-là qui sont dans une même lancée, qui ont une vision commune moi je pense que c’est déjà une initiative très, très salutaire. Donc je suis vraiment honoré d’être invité à cette grande rencontre qui est vraiment symbolique pour moi car ça me permet de rencontrer d’autres jeunes africains, d’autres personnes qui luttent dans leur pays respectif de la même manière que moi. Ça nous permet d’échanger, de partager les expériences, ça nous permet de corriger les lacunes et surtout il y a aussi beaucoup d’artistes qui sont venus des différents pays pour venir partager ce moment. C’est une très bonne chose. Je pense que ce genre de rencontre doit être pérennisé. Ça doit continuer. Nul ne doit mener une lutte de façon isolée. Il y a un adage qui dit que : ‘’Seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin’’.

Pensez-vous que ces jeunes à travers les combats qu’ils mènent dans leur différent pays arrivent à changer quelque chose ? Vous y croyez vraiment ?

Mais bien sûr ! J’y crois. A partir du moment où on s’est dit que ce n’est pas un résultat immédiat qui doit compter mais surtout l’impact, l’effet que ça fait. Par exemple, personnellement j’étais devant un très grand mouvement, un mouvement spontané né au Mali  il y a une année de cela, la plateforme ‘’Anté Abana’’ Touche pas à ma constitution dont j’étais vice-président. C’est un mouvement qui regroupait beaucoup d’associations de la société civile, des partis politiques, et d’autres leaders d’opinions pour dire non à cette révision constitutionnelle au Mali initiée par le gouvernement malien que nous considérons comme une imposture, et même une révision inopportune. Donc voilà, ce mouvement, cette lutte, cette bataille que nous avons menée a permis de sauver le Mali. Parce qu’il y avait beaucoup de points qui avaient pour objectif de légitimer les dérives du gouvernement. Donc moi je pense que ces genres d’activités ou d’initiatives servent beaucoup. Et ça doit continuer. Parce que jusqu’à présent, de plus en plus, on voit des atteintes aux libertés individuelles, aux droits de l’homme, des actes d’injustice et d’inégalités sociales, au sein de notre société africaine en général. Et plus particulièrement, chez moi au Mali, il y a un véritable problème de justice sociale. Et à partir du moment où certains, beaucoup de jeunes ont le courage de s’ériger en porteur de message, comme un portevoix de la société, moi je pense que les gens doivent comprendre cela et prendre ce qu’il y a de bon là-dedans pour pouvoir s’en servir.

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© http://upec-2018.org/

Au Mali, il y a Master Soumy, il y a aussi Ras Bath. Aujourd’hui le Mali est en pleine campagne électorale. On parle de Génocide peule. Dans ce contexte parlez d’initiatives qui ont contribué à sauver le Mali alors qu’on a l’impression que le Mali s’enfonce dans une crise multiforme qui ne dit pas son nom et dans l’indifférence générale.

Oui. Moi je pense aujourd’hui au Mali s’il y a un problème vraiment inquiétant c’est cette crise au centre du pays depuis un certain temps. La situation d’insécurité était très, très grave. On savait par rapport au Nord notamment les régions comme Kidal, Tombouctou, Gao où il y a des djihadistes, des terroristes, des groupes armés, des groupes indépendantistes, etc. Mais aujourd’hui nous assistons à une autre formule : c’est le conflit peuls, dogons etc.
Le Mali est un pays immensément riche en termes de diversités culturelles et ces différentes populations ont tout le temps vécu ensemble en toute harmonie, en parfaite cohésion. Il y avait souvent des petits conflits que je considère comme classique entre éleveurs et agriculteurs. Lorsqu’un éleveur fait passer ses bêtes dans le champ du cultivateur, il y a tout le temps ces petits problèmes mais qui sont rapidement résolus généralement chez le chef de village ou chez les notabilités de nos villages. Mais aujourd’hui, en arriver à faire des dizaines, vingtaines, trentaines de morts par jour… Il y’en a qui parle de génocide, d’autres d’exterminations, ça devient de plus en plus violent. Ça devient de plus en plus inquiétant. Moi je me pose la question à qui profite ce conflit dans le centre du Mali. En plus de cela, je me dis est ce que l’état malien n’a pas démissionné quelque part ? Parce que nous avons beaucoup de localités dans le centre du Mali dont l’administration est quasi absente. Il y a des sous-préfets qui ne sont plus à leur poste. Et à partir du moment où….

Il y’en a qui se sont faits déjà tués non ?

Mais bien sûr. Mais à partir du moment où l’état est absent, à partir du moment où il n’y a pas une réelle proximité de l’administration avec les gouvernants, la population, il y aura toujours des problèmes parce qu’on va toujours vivre comme dans la jungle. Ça sera la loi du plus fort. On dit :’’ On gouverne de loin, mais on administre de prés.’’ L’état doit être auprès de sa population. L’état doit être auprès de la population malienne. Et aujourd’hui ce n’est pas ce qu’on voit. Les gens sont laissés à eux-mêmes. Ils s’entretuent tous les jours et cela est très dangereux. Et si jamais cela continue, c’est l’existence du pays même qui est menacé.

En 2016, lors d’un séjour au Mali on nous a beaucoup parlé du ‘’Senankuya’’ ou le cousinage à plaisanterie qui évitait que ça explose. Quelque part est-ce à dire que ce cousinage à plaisanterie a été abandonné par les maliens eux-mêmes ou c’est quoi ?

Ce cousinage à plaisanterie existe toujours et ça continue d’exister entre les maliens. Mais moi, je suis dans la même confusion que vous et comme beaucoup d’autres personnes qui sont étonnées de voir que des peuples ayant vécu ensemble depuis des siècles s’entretuent aujourd’hui. On se pose de multiples questions. Et le cousinage à plaisanterie fait partie de nos valeurs sociétales au Mali. Et si jamais ces types de pratiques, ces types de culture disparaissent, là c’est très dangereux pour le Mali. Aujourd’hui, nous avons un tissu social qui est fragilisé et qu’il faut tout mettre en œuvre pour véritablement souder cela. Il faut créer un véritable dialogue entre l’ensemble du peuple malien, que les gens arrivent à se parler, que les gens arrivent à se dire les vérités, que l’état malien écoute la population malienne. Cela est très important.

On laisse de côté l’activiste on parle de Master Soumy l’artiste. Vous avez déjà sorti votre quatrième album…

Oui. J’ai sorti quatre albums. Le premier en 2007, le deuxième en 2009, le troisième en 2011 et le quatrième en 2016 mais avec une centaine d’autres singles qui ne figurent pas sur les Cds. Depuis un certain temps, chaque deux ou trois mois je sors un single pour parler de la situation au Mali. Je présente aussi le journal rappé au Mali. Mon concept s’appelle le JT Abéfö Rappou (le rap qui dit tout, qui touche à tout). Je parle de l’actualité malienne. Tous les mois, on fait un nouveau numéro sur la situation politique, sécuritaire, sociale, économique, culturelle du Mali.

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En Bambara ou en français ?

En Bambara et en Français, parce que le français est la langue officielle du Mali. Le Bambara est la langue nationale.

Vous rappez en français, bambara, anglais… ?

Je rappe en français et en bambara.

Votre public c’est quel genre de public ?

C’est un public que je dirais mixte. La grande majorité de ceux qui m’écoutent sont des adultes pas forcement des jeunes. Il y en a qui se reconnaissent dans tout ce que je fais, dans tout ce que je lance comme message mais il y a aussi une grande partie de personnes âgées qui écoutent ma musique parce que j’ai l’habitude de voir mon cd avec un vieux de 60 ans. Souvent quand j’organise des concerts dans des salles vips et tout ça, il y a des vieux qui viennent. Il y a des cadres du pays qui viennent assister au concert. Voilà, je peux dire que c’est une musique qui a une cible générale, toutes les couches de la société confondue.

Vous composez vous-mêmes vos beats ?

J’étais un beatmaker. Moi-même je composais mes sons. J’ai travaillé dans plusieurs studios pendant des années. Mais actuellement, je préfère plus me concentrer sur les textes, le micro, la scène et le travail au studio qu’être tous les jours devant l’ordinateur. Maintenant, j’ai d’autres personnes qui font des programmations pour moi, qui composent des instrus, qui m’envoie, qui me propose, ainsi de suite. Je travaille avec beaucoup de jeunes qui sont aujourd’hui incontournables sur la scène hip hop en termes de productions de sons, en termes de qualités sonores, … Je travaille avec beaucoup d’autres jeunes qui ont leur studio à Bamako.

Pour ces beats, est ce que vous avez genre une préférence que ça soit un truc malien avec des sonorités de chez vous ou que ça reste dans le real hip hop hardcore ?

Je suis un des premiers rappeurs a vraiment valorisé nos instruments traditionnels dans le hip hop notamment le ‘’Ngoni’’, la ‘’kora’’, le ‘’Ndjembé’’, le ‘’Tamani’’, ‘’Sokou’’ qui est le violon traditionnel, … Ce sont des instruments que j’ai tout le temps utilisé dans ma musique. Parce que vous savez que le hip hop est venu des USA. Les américains ils ont leur culture, leurs couleurs musicales. Donc maintenant, moi en tant que malien, je dois tout mettre en œuvre pour mettre ma culture et mon identité au-devant de la scène. C’est ce qui créé la particularité de ma musique comparativement au rap occidental. C’est dans le but de donner de l’authenticité au rap malien. Le rap malien doit se distinguer des autres raps.

Que pensez-vous de la prédominance de la musique Naija dans l’espace jeune africain ?

C’est une fierté aujourd’hui lorsqu’on voit que quand vous partez dans une boite de nuit on joue presque rarement (surtout chez nous) du rap américain. Les gens n’achetaient que les t-shirts de Fifty Cent, Jay-Z, alors qu’aujourd’hui on voit surtout que c’est la musique africaine qui est mise au-devant même dans les night clubs et autres espaces de divertissement. La musique africaine a évolué mais par contre il y a aussi une certaine paresse en termes de qualité musicale. Dans la forme, il y a de bonnes sonorités. Dans le fond, rares sont les artistes qui arrivent à véhiculer de vrais messages. Il y a un problème de contenu. Rares sont les artistes qui arrivent à éveiller les consciences, à sensibiliser. Parce que c’est bien de dire bouger, c’est bien de dire danser, c’est bien de parler de ‘’Diarabi’’ ou autres choses mais aussi une partie de la musique doit rester au niveau de la tête où on doit pousser les uns et les autres à prendre leurs responsabilités, à jouer leur rôle dans l’épanouissement de la société, à veiller sur la gouvernance, à être responsable, à avoir un sens des patriotismes élevés, à se préoccuper de la vie de leur nation.

La musique c’est un divertissement aussi…

Bien sûr. La musique doit nourrir l’âme et l’esprit.

Vous êtes engagés jusqu’au bout quoi ?

Non je ne dirais pas engagé jusqu’au bout. Tout le monde n’est pas obligé d’être engagé jusqu’au bout mais je veux juste que notre musique parle aussi souvent d’éducation, de santé, de sécurité, de démocratie. C’est important. Mais je n’ai pas dit qu’il est interdit de danser de faire la fête etc. Tout le monde sait que la musique adoucit les mœurs.

Alors Master Soumy, il vit juste de son art ou il fait d’autres choses à côté ?

Je vis de mon art. Je vis exclusivement du rap.

On a vu que vous avez un master en droit ?

Je suis juriste de formation. Je vis de la musique. Je viens de créer récemment mon entreprise. Une entreprise de production audiovisuelle qui s’appelle Mali Space. Elle vient de mettre en place le tout premier festival de hip hop au Mali. Nous avons initié le tout premier festival qui s’appelle Festhiphop, rapoudogogou. Nous l’avons fait en trois volets.

Un volet éducatif, de formation sur les techniques d’écritures, la scène, la gestion de la carrière, comment vendre sa musique sur internet, sur les plateformes de téléchargement, etc.

Nous avons formé 115 rappeurs, comme vous le savez le rap est la musique la mieux écoutée au Mali. Seuls les concerts de rap remplissent les stades au Mali. Il y a des rappeurs qui n’ont que deux chansons mais ils remplissent le stade. Le malien adore le hip hop.

Nous avons aussi fait un concours de rap qui s’appelle 16mns pour convaincre sur des thèmes comme l’immigration clandestine, la délinquance, les dangers de l’alcool et de la drogue, l’insécurité routière, la radicalisation des jeunes etc.

Il y a eu aussi des concerts géants où nous avons enregistré 10.000 spectateurs parce que c’était gratuit, en plein air, les gens sont venus de partout de Bamako, et même des villes proches de la capitale. Les gens sont venus assister à ce festival qui pour l’instant a été une grande réussite. Nous comptons faire la prochaine édition l’année prochaine Inch Allah.

Les rappeurs arrivent à remplir des stades, arrivent-ils aussi aisément à vendre leurs albums ?

Malheureusement non. Les albums ne rapportent plus grand-chose aujourd’hui parce que nous n’avons pas pu avoir le répondant à l’évolution des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Avec les téléphones Bluetooth, tout ça a beaucoup joué sur la vente des CDs et cassette. Aujourd’hui les gens ne sont même plus dans la production d’artistes  c’est-à-dire produire un artiste mettre le cd ou la cassette sur le marché. Les gens ne sont plus dans cette logique-là. Parce que le revenu est de plus en plus dérisoire. Ce qui fait que la plupart des artistes surtout rappeurs se focalisent surtout sur des concerts. Quand vous avez de la chance et que vous arrivez à décrocher des contrats de publicité avec de grandes entreprises, par exemple Orange ou autres, voilà. Sinon, les CDs et les cassettes, il y a plein de rappeurs qui sont considérés comme des têtes d’affiches qui n’ont pas un seul album sur le marché. Mais ils ne sortent que des singles. Tous les mois, ils sortent une chanson. Des chansons qui se dansent dans les boites de nuit, dans les maquis, voilà. Les gens n’attendent souvent que les concerts pour venir savourer cette musique.

Quels sont les artistes qui vous inspirent ?

Il y’en a beaucoup et d’un peu partout d’ailleurs. J’ai beaucoup écouté à mes débuts dans le hip hop beaucoup de rappeurs français comme les IAM, les NTM, les Mc Solaar, etc. Et j’ai écouté nos grands frères des PBS (Positive Black Soul), Awadi,  Daara J… Et même certains grands frères du Mali comme Lassy King Massassy..

Sur le plan musical j’ai des références, comme Lokua Kanza, Salif Keita, Ismael Lô.

Le mot de la fin ?

De vous remercier pour le travail que vous faites : De contribuer à la promotion de la culture africaine en général, de la jeunesse africaine. Surtout je souhaite des élections transparentes, crédibles, sincères et apaisées au Mali

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