ARTS VISUELS

Critique : Pas moi ici, nous ailleurs ! Une réflexion de l’imaginaire conquérant à travers l’Émouvance des Émouvants

«Le mot fleur dans un poème de Mallarmé n’annonce pas une fleur comme un parfum que je sens mais m’annonce une fleur que je n’ai pas encore vu ».

Mikel Dufrenne.

En courant d’air, ça commence l’air de la liberté, l’imagination et la création. Cette ère artistique met en lumière ce nouveau courant d’air appelé l’ « Émouvance des Émouvants » qui brille comme un soleil dans le continent africain. Tout va vite, en coup de vent, un arc en ciel entoure l’espace Sadika, sur la côte de Carthage, en Tunisie. De l’air, de l’air, de l’air !

On sent combien cet espace est nécessaire pour le créateur émouvant ou le « Fannen » qui souffle émotion et cherche un chemin à travers le creuset frissonnant d’une intériorité muette. Autrement dit, le zèbre émouvant marque son retour sur soi dans les profondeurs, afin de voyager intérieurement dans son imaginaire et découvrir son âme qui est très obscure et peut-être très claire. Face à cet espace et face au temps, il y a une certaine vibration où la beauté erre de-ci et de-là. Cette beauté s’élance invisible et cachée, afin d’être révélée par les Émouvants qui cherchent ce qu’il y a au-delà des au-delà en tissant leur monde invisible et spirituel.

Cet au-delà appartient à l’imaginaire où les esprits viennent à notre rencontre en cherchant l’être profond en nous car nous sommes chez nous. Cet imaginaire peut se révéler comme l’indice d’une autre réalité, d’une certaine nouveauté du monde. Retrouver des couleurs, écouter le regard entre ‘’Je’’ et ‘’Tu’’ dans une ambiance spécifique et particulière où tout est lumière. C’est le monde commun des Émouvants ou plutôt c’est l’Ethos d’être-au-monde et avec le monde. Allant en avant, vers la source du monde merveilleux, vers ce courant de     l’ « Émouvance des Émouvants » qui est évoqué par Me Mohamed Benkhalifa, politologue, avocat international et coach certifié et fondé par Sadika Keskes artiste-souffleuse de verre.

C’est à   l’espace Sadika, là où souffle un vent parfumé permettant de favoriser l’émergence de nouvelles modalités du « vivre ensemble ». Dans le même espace, se crée un passage de l’ici à l’ailleurs chaque jour et pour toujours en laissant une trace fleurie qui restera dans la mémoire et demeurera un fragment de l’histoire. Cette trace fait l’écho d’un certain changement en valorisant le rapport à l’autre dans la création artistique dite « contemporaine » et plus largement le collectif.

Du ‘’je’’ au ‘’nous’’, le collectif des émouvants s’attache à l’imaginaire à travers la cohue, afin d’interroger notre rapport à la société. Cette « conversion à l’imaginaire » peut être envisagée à partir d’une perspective artistique et socio-culturelle. C’est l’imaginaire qui est défini en termes de création collective et surtout du changement social qui prépare le terrain à un avenir autre. Croire à son destin, le créateur émouvant poursuit son chemin en favorisant la rencontre des imaginaires individuels et l’ouverture à l’expérience et au monde de l’autre. En d’autres termes, il s’agit d’une certaine articulation entre les imaginaires individuels pour se situer dans un imaginaire collectif, entre ce qui relève d’une expérience subjective et d’une expérience intersubjective.

Ces éléments sont particulièrement signifiants dans le processus de constitution d’un imaginaire commun à une société. Cette société qui peut se définir à travers le pronom « Nous » et qui caractérise l’Autre et l’Ailleurs. En aimant les obscures et non pas la lumière, comment créer avec l’autre et grâce à l’autre ? Que signifie créer ? Ce verbe qui exprime l’acte de création n’implique-t-il pas la notion d’originalité, d’unicité ? En quoi ce courant d’air artistique rend-il effectivement possible la rencontre avec l’autre ? Comment l’œuvre collective permet-elle l’actualisation des représentations de la diversité des imaginaires individuels ? Si l’on accepte que la matière-émotion puisse être capable de nous influencer dans notre propre rapport avec les choses, ne peut-on pas dire que l’imagination est créatrice et elle est transformation de nous-même ? Transformation de notre propre être, de notre esprit qui imagine ; transformation de notre manière d’être, afin d’établir une transformation sociale ? Pour répondre à ces questions, on doit examiner plus particulièrement la place de l’imaginaire (et de l’imagination) dans ce courant d’air.

C’est l’imaginaire qui joue un rôle décisif en tant qu’un imaginaire collectif, créatif et partagé. La collectivité crée une autre forme d’ouverture à l’autre dans la mesure où l’acte collectif de la création est en soi un acte social menant vers le changement, la transformation, l’innovation, l’évolution, bref la révolution. Cette dimension collective confère à l’Émouvance une valeur particulière parce qu‘elle est le témoin de la redéfinition de l’imaginaire partagé par les plasticiens, les critiques d’art et les designers de cette collectivité émouvante. Mais, l’imaginaire, est-ce l’imagination ? L’imaginaire n’existe qu’à la faveur de l’imagination. Il offre une manière singulière et nouvelle de l’appréhender : « Grâce à l’imaginaire, l’imagination est essentiellement ouverte, évasive. Elle est dans le psychisme humain, l’expérience même de l’ouverture, l’expérience même de la nouveauté », dit Gaston Bachelard.

Les Émouvants rentrent dans l’imaginaire et rêvent d’une infinie puissance migratrice suivant une certaine imagination créatrice. Bachelard réduit l’imagination à sa dimension purement créatrice en lui attribuant une valeur heuristique. Cette imagination est créatrice parce qu’elle fait advenir de l’inédit et crée une réalité neuve et surprenante. Cette fonction créatrice distingue principalement les œuvres collectives des émouvants qui s’inscrivent dans un esprit de l’art dit au contemporain. Douceur du temps, délice d’un instant, les Émouvants prennent le temps de l’imagination. Ô mon imagination, j’ai soif de toi. J’ai besoin de moi ou justement de l’autre moi pour ouvrir une voie à l’imaginaire des autres. Me voilà, me vois non pas ici mais ailleurs où nous créons ensemble notre propre univers dans l’imaginaire.

Dans ce monde imaginaire, une force collective naît, afin de créer un nouveau monde de l’œuvre et produire la sensation du neuf. Cet acte de création des œuvres collectives peut engendrer, en retour, un changement de l’imaginaire. Ce courant d’aire artistique est susceptible d’induire un effet de socialisation en favorisant la rencontre des imaginaires individuels. D’ailleurs, les travaux fondateurs de Sartre, Husserl, Bachelard et Durand conduit à proposer une nouvelle conception de l’imaginaire permettant de montrer de quelle manière s’articule la relation entre les dimensions individuelles et intersubjectives dans l’acte de la création. A toi l’autre qui entre dans l’imaginaire mouvant et devient un émouvant qui se situe dans le monde flottant, dans un ailleurs plus profond, dans un imaginaire collectif, créatif, voire conquérant. Conquérir le monde dans sa chair. Conquérir le monde dans son émotion est la mission fondamentale et fondatrice de cette nouvelle ère artistique permettant d’exprimer la volonté de promouvoir, se mouvoir et s’émouvoir un instant vibrant grâce au partage d’expériences artistiques, esthétiques et éthique. Il s’agit notamment d’un imaginaire du changement qui est, par excellence, conquérant permettant de contribuer à l’élaboration d’une transformation sociale.

Gaston Bachelard préfère s’intéresser aux conditions dans lesquelles l’esprit humain élabore des découvertes issues d’une volonté de changement et de création. Autrement dit, l’imaginaire conquérant et collectif se cristallise dans un contexte social, dans un temps et espace propres afin d’établir des connexions entre les imaginaires individuels qui s’ouvrent les uns aux autres. Les productions issues de cet imaginaire conquérant sont le fruit d’une activité créatrice car imaginer, pour Jean-Paul Sartre consiste à élaborer quelque chose qui n’existe pas dans le monde réel. Quelque chose qui existe dans l’imaginaire ou, selon son expression, dans un « réel néantisé ». Face à ce néant et entre déjà vécu et pas encore vu, se manifeste le passage du Je au nous, du moi à l’autre où « Je est un autre », affirme Rimbaud.

C’est également dans l’échange que l’œuvre de l’Émouvance prend sens car on partage avec les autres du sens et des émotions. « L’émotion est matière », affirme René Char. Cet état d’être du créateur ou cette réaction affective du spectateur génère cette œuvre de l’Émouvance. Une conquête d’idées après une quête de lumière, l’émotion en tant que matière, qui en orientant et dynamisant l’imagination, constitue un premier principe dans la création. L’imagination a besoin d’une matière pour se fixer et lui donner une substance. Cette matière est importante dans la mesure où elle permet à l’homme « d’affirmer à la fois son appartenance cosmique et son dynamisme créateur », dit Bachelard.

C’est l’imagination créatrice qui conduit le spectateur à sentir une expérience artistique sensible et à découvrir son être profond dans et par le présent. Autrement dit, l’émotion du spectateur ne peut exister que si la matière-émotion du créateur agit avec l’énergie du monde. L’œuvre collective des émouvants ne peut pas se produire sans un effort de l’imagination créatrice. C’est la création qui se retrouve dans l’acte de créer ou de transformer la matière en lui donnant un aspect autre et différent. Il faut « Inscrire l’émotion dans la matière même de l’encre et du papier (…) », affirme Jean Piwnica.

Ainsi, dans quelle mesure la transformation de la matière ne transforme-t-elle pas le propre esprit qui pense la transformation ? Et quel rôle joue l’imagination créatrice dans ce mouvement de réciprocité entre la transformation de la matière et la transformation de l’imaginaire ? S’ouvrir à la présence de l’imagination créatrice qui s’extériorise dans l’œuvre collective dite contemporaine est le moyen fameux par lequel l’imaginaire individuel peut se transformer en un imaginaire collectif et conquérant, afin d’accéder à un changement culturel et une transformation sociale.

Je suis créateur ou plutôt nous sommes des créateurs non pas ici mais ailleurs jusqu’au ciel, dans l’imaginaire. Cet imaginaire conquérant est une aventure qui s’enfuit dans son infini et s’accomplie à l’infini. C’est l’aventure de la légèreté qui est prête à s’envoler. Infiniment beau, cet imaginaire spécifie notre courant d’aire artistique car il éclaire une lumière entre ciel et terre. C’est un nouveau-né conquérant qui s’articule entre le sens et le non-sens et fait de la légèreté sa puissance. Je suis puissant. Cette puissance signifie le pouvoir de création où l’œuvre appartient au monde, permettant de sentir librement sa beauté. Ceci renvoie à l’importance de l’émotion en tant que matière sensuelle, spirituelle, vibrante et profonde qui ouvre la porte à l’intuition à travers laquelle se révèle un instant permettant au spectateur de respirer le monde émouvant. C’est un instant-éclair qui s’inscrit dans un univers faisant appel à l’imaginaire. « L’éclair me dure », ajoute René Char.

Comme poète de l’instant, il noue une relation avec la réalité et le temps en s’appuyant sur les contraires, qui dans leurs unions permettent le surgissement d’un temps bref et impressionnant. L’assemblage des contraires trouve son fondement dans la spécifique et singulière œuvre collective qui, à son tour, a ses modes d’esthétisation de la temporalité. Cette œuvre est particulière dans la mesure où elle met en exergue l’Être à travers l’imaginaire collectif et non pas à travers l’imaginaire individuel. Plus on cherche le surgissement de l’instant présent, plus le plaisir réside dans ce surgissement, voire dans la surprise.

L’œuvre des émouvants est celle qui réserve une bonne surprise et cette joie n’est pas étrangère à la joie de vivre. Echange sans arrêt à l’œuvre, sans arrêt en train de se faire et de se faire émouvoir, l’instantanéité s’emploie dans la mesure où elle met ensemble différentes temporalités issue de l’alliance des dichotomies et de paradoxes. Glisser le temps, parler des Émouvants hors temps et s’ouvrir à soi-même. Un moment tremblant et un bonheur permanent, puis reconnaître l’autre dans sa différence et s’ouvrir à lui à travers un regard. Est-ce le hasard ? L’autre m’occupe par sa diversité. Il se révèle à moi dans sa différence, je m’accomplie et « je deviens Je au contact du Tu », dit Buber.

Accepter ce présage est également pour faire un voyage dans l’imaginaire qui constitue toute source de vie dans notre rêverie, afin de créer à l’infini. Rêverie du moi profond, du moi « pur », d’une âme, de l’être qui tend à naître « avec-l’être » dans ce monde imaginaire. C’est un autre monde, un monde autre où cet autre nous regarde en écoutant le silence quand les Émouvants montent en puissance et parlent dans le silence. Le créateur émouvant arrive à partager une émotion avec l’autre suivant une énergie créatrice. Cette émotion est origine où l’onde fait vibrer le monde de l’œuvre qui devient, à son tour, une énergie qui émeut.

L’œuvre en tant qu’énergie vibrante laisse le fil des aventures à la folie et à la beauté. Cette beauté aime se regarder partout et être le tout dans un monde infini, dans le ciel. « La beauté connaît ses formes imaginaires quand elle sort de sa chair ». Oui la beauté. Non pas sa visibilité mais son agilité de l’invisibilité. Comme un tableau de maître dans un musée, les émouvants tissent leurs toiles à jamais, afin d’éclairer la beauté des œuvres issue d’une folie imaginaire. Pas moi ici ! Nous ailleurs, dans le monde de l’imaginaire qui est inséparable de la liberté menant vers la transformation sociale. Le passage de « l’expérientiel au vibratoire » spécifie ce courant d’aire, afin de conquérir le monde dans sa chair et établir une nouvelle ère artistique.

Ikram Ben Brahim[1]

[1] Artiste plasticienne, Artiste « en émouvance », Théoricienne de l’art, Enseignante universitaire, Docteur en Science et Techniques des Arts, Chercheuse en esthétique et histoire des Arts Plastiques, Présidente de l’association « Plein’Art mouvant ».

-Cet article est écrit dans le cadre du colloque international « Imaginaires du changement » organisé à Tozeur, Tunisie du 30 avril jusqu’au 2 mai 2019.

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