Le Fespaco de la résilience
La 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) se tient dans une atmosphère tendue. Ce qui s’est fait bien ressentir dans les allocutions.
BIGUE BOB (Envoyée spéciale à Ouagadougou)
Un Fespaco pas comme les autres ! On s’y attendait tous. Cette 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou ne pouvait pas être comme les éditions précédentes. Elle se tient dans un contexte politique et sécuritaire particulier. Et cela s’est bien fait ressentir. Le Palais des sports, qui a reçu l’ouverture officielle samedi dernier, n’a pas fait le plein. À la base, il était prévu d’accueillir 3 500 festivaliers, même si l’espace pouvait en contenir 5 000.
Mais, à la fin, il y en avait un peu moins que le chiffre retenu. De l’entrée principale du Palais des sports à celle menant à l’enceinte, il y a trois ‘’barrages sécuritaires’’. La fouille s’opère à la porte. On décline son identité au deuxième et au dernier, on passe au détecteur de métaux. C’en est pas de trop, du tout.
Le Burkina Faso est secoué depuis quelques années par des attaques terroristes, qui se sont multipliées ces derniers temps. Donc, ces actions de sécurité se justifient amplement. D’ailleurs, un kit sécuritaire est remis aux festivaliers pour leur expliquer le processus et leur demander de se soumettre aux demandes des forces de sécurité. Une minute de silence a été observée à la prise de parole du ministre de la Communication, de la Culture, des Arts et du Tourisme, porte-parole du gouvernement de transition, Jean Emmanuel Ouedraogo.
Cette situation difficile que vit le Burkina Faso s’est fait ressentir même dans les discours des officiels. ‘’Paix’’ et ‘’résilience’’ sont les deux mots qui sont le plus revenus dans les différentes allocutions. D’ailleurs, il partage cette volonté de ne pas ‘’mourir’’ avec son invité d’honneur : le Mali. Le Premier ministre malien, Choquel Kokalla Maïga, a présidé la cérémonie d’ouverture aux côtés de son homologue burkinabé Apollinaire Joachimson Kyelem de Tambélé. Au-delà du fait que ces deux pays sont ‘’des frères liés par l’histoire, la géographie et la culture’’, comme l’a rappelé M. Maïga, ils sont confrontés aujourd’hui à un défi sécuritaire. ‘’Notre combat pour la paix et la souveraineté demeure la priorité’’, a rappelé M. Maïga. ‘’Nos deux pays sont ensemble, au coude-à-coude, face à l’hydre terroriste, alimentée par des entrepreneurs de violence et leurs sponsors étrangers étatiques’’, a-t-il dénoncé. Il a profité de la tribune offerte pour lancer un appel aux dirigeants africains. Monsieur Maïga prône pour une Afrique des Africains, aux Africains. D’après lui, c’est aux fils du continent de se battre pour la paix et la sécurité dans le continent. Ce n’est pas aux forces étrangères de le faire. ‘’Les forces armées et de sécurité doivent être la colonne vertébrale d’une nation. Un pays ne peut jamais être défendu par un autre’’, a-t-il soutenu.
Cela s’impose, d’après lui. ‘’Résister, se montrer résilient n’est pas un choix ni une option pour nos États. C’est une ardente obligation et un devoir de génération (…) Nous résigner, c’est se faire hara-kiri. Nos peuples ont dit non, nous n’allons pas nous coucher. Nous allons nous tenir debout, la main dans la main pour vaincre le terrorisme, parce que le combat de notre peuple est juste. Il ne peut pas perdre cette guerre’’, a-t-il souligné.
Du reste, ‘’‘’Nan laara an Saara’’ (si nous nous couchons, nous mourrons), cite M. Maïga, reprenant ainsi l’écrivain, historien et homme politique burkinabé Joseph Ki-Zerbo. ‘’Nous n’allons pas nous coucher. Nous allons nous tenir debout. Nous allons vaincre le terrorisme’’, a-t-il clamé.
Monsieur Maïga est conscient que des batailles sont en train d’être perdues, mais reste persuadé que les États remporteront la guerre. ‘’La guerre sera gagnée inéluctablement par le peuple’’, a-t-il affirmé.
À cette guerre, les cinéastes sont invités à participer, à leur manière. Le thème de cette 28e édition du Fespaco les y pousse d’ailleurs : ‘’Cinémas d’Afrique et culture de la paix’’. ‘’C’est une invite aux professionnels du 7e art de poser un regard critique sur le Sahel et ses décrues multiformes, afin d’esquisser aux bénéfices des gouvernants et des gouvernés des pistes de solution durable face à la crise sécuritaire‘’, a dit Choquel Kokallo Maïga.
Le porte-parole du gouvernement de transition, Jean Emmanuel Ouedraogo, qui a lu le discours du Premier ministre, est du même avis. ‘’La paix est menacée quand l’ordre des valeurs est bouleversé, comme disent les sociologues de la paix. Cette thématique ne concerne pas que le Burkina Faso, qui vit une situation particulièrement difficile. Les pays du Sahel sont concernés dans leur ensemble. Et de plus en plus, certains pays voisins du littoral’’, a-t-il déclaré.
Pour M. Maïga, le 7e art est le meilleur antidote. Mieux encore, selon lui, ‘’la culture est dans son essence un partage, à travers les œuvres cinématographiques, elle a un rôle avant-gardiste à jouer. Car l’art est une lumière qui peut libérer. Il faut recréer les liens avec nos valeurs. Là où il y a les liens, la peur disparaît, la guerre ne peut prospérer’’.
Et si le président du comité d’organisation du Fespaco, Fidèle Taminini trouve que la présente session est celle ‘’de tous les enjeux eu égard à toutes les crises’’ vécues le premier ministre malien lui se félicite de la tenue de cette biennale du cinéma. ‘’C’est un acte de résistance pour un monde d’espoir’’, selon M. Maïga.
Son discours a été entrecoupé d’ovations d’un public totalement acquis à sa cause. Mais le clou reste cette parade de Maliens et Maliennes tout de blanc vêtus, lors du discours que prononçait M. Maïga. Tout un symbole.
Africuturelle et Enquête
