SELLOU DIALLO, RÉALISATEUR DE FILMS DOCUMENTAIRES ET ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN CINÉMA À L’UGB
‘’Un grand film d’un réalisateur…’’
‘’L’enfant dit au père qu’il ne veut pas que le mouton élevé pour la Tabaski soit égorgé : C’est son ami. Il l’appelle Dou. Il rêve d’aller avec lui à la prière de la grande fête du mouton : Dans le rêve fugace, comme lui, le mouton porte un caftan de même couleur jaune : C’est un rêve cauchemardesque qui déstructure nos mythes religieux, nos rites sociaux. Je crois que le silence de l’enfant à qui le grand-père raconte le sacrifice d’Abraham sur son fils Ismaël, dit qu’il est prêt à se mettre à la place du mouton. Son silence le dit, on le redoute, on le ressent ; l’enfant fait vaciller notre régime de croyance à ce sacrifice douloureux où nous perdons un peu de notre humanité. Le film est sensible comme un film d’enfant, mais » il fait peur en nous ». Ce faisant il touche au conte philosophique. Le silence violent entre père et fils, notre incapacité à dire des mots d’amour rendent les silences poétiques et violents. Le père est désespéré, parce que son fils ne veut pas lâcher du lest ; il le bat après une fugue avec le mouton, parce qu’il est désespéré et sans arme affective autre que l’ordre et l’injonction, alors que l’enfant réclame simplement de l’humanité. Que son ami le mouton D’où ne meurt pas parce que l’on veut paraître ; juste faire comme tout le monde et ne pas subir le sarcasme des voisins… Ce n’est même plus pour l’amour de Dieu que l’on sacrifie un mouton ! Le réalisateur met en lumière nos enclos qui nous tiennent prisonniers comme le mouton que le père de Sada a finalement séquestré dans son enclos fait de bouts de planches et de tôles ondulées : De peur des voleurs qui ont sévi dans le quartier, pour punir l’enfant et le séparer de l’animal… Quand le garçon en casse une pièce de bois, un léger jaillissement de lumière fait se rencontrer les yeux des deux amis : le garçon et le mouton. Le film devient plus clairement obscurément interstitiel ; il cherche la lumière dans nos failles. C’est pourquoi j’aurais aimé que le film ajoutât le mouton plus fondamentalement comme personnage et que dans cet enclos le film joue son va-tout dans la dimension mythique où le combat de l’enfant contre le père, le père contre la mère qui a pris fait et cause pour l’enfant, le combat du mouton qui, à grands coups de cornes, tente de défoncer la porte… Que toutes ces énergies mobilisent plus encore des puissances symboliques, des aspects de la condition humaine. Mais je sens que l’auteur le sait bien, il l’a travaillé d’ailleurs ; mais le silence et l’indicible amour agressent l’affection pourtant présente dans ce foyer modeste, mais juste dans la suggestion du clin d’œil, du regard tendre… «Le mouton de Sada» du réalisateur sénégalais Pape Lopy m’a regardé dans les yeux. La séquence de la presque fin est crépusculaire et sombre la lumière tragique sur un réel qui travaille une archéologie de la violence dans notre société qu’il est temps de regarder de plus près : tous ces couteaux dressés la veille de la Tabaski dans les rues de Dakar ; toutes ses meuleuses qui jettent dans l’atmosphère leurs étincelles dans les regards des passants crépusculaires qui hâtent le pas d’aller au massacre d’autres âmes. Une signature photographique qui cherche les codes de lumière bien à nous. Un grand film d’un réalisateur qui se dit ému après la projection qu’il ait voulu faire du cinéma «envers et contre tous».
Si faire un film comme «Le mouton de Sada» a été un combat, pourvu que cela dure et donne des films plus grands. Je pardonne les manquements, ma cinéphilie en veut toujours plus. C’est un grand film.’’