L’exposition Fireeku de la BICIS célèbre la mutation, moteur de l’évolution et du renouveau artistique au Sénégal

La mutation a une portée organique, elle engage la capacité d’un corps à se transformer dans le schéma global du vivant. Dans la langue wolof, elle signifie sopeeku qui évoque la modification. Utilisé souvent dans un contexte social, ce dernier est différent de soppaliku, une métamorphose ancrée dans nos imaginaires mystiques. La mutation suggère aussi to’or too’r qui reflète l’éclosion, le bourgeonnement ou la germination en référence à la végétation. Enfin, elle s’institue autant dans fireeku dont le sens large englobe la libération, l’épanouissement ou le changement qui établit une évolution.
C’est parce que l’évolution réclame une modification de la matière que cette dernière mute pour mieux s’adapter à son environnement. Ce processus a engendré une espèce humaine unique en son genre. En déterminant l’adaptation des agents face à la modification d’une structure, la mutation illustre l’intelligence humaine qui accompagne tout changement. Elle nous attache au contexte en générant le potentiel de notre ancrage dans l’espace. La mutation est donc un facteur structurant de l’évolution et le moteur de notre enracinement.
La mutation est le génie du vivant, son rayonnement endogène. Elle en épouse les contours et l’esprit dans une double mission : garder la mémoire d’une chose, perpétuer son assise et raffermir sa racine, tout en ouvrant la porte du futur. Car il est bien évident que muter, c’est s’améliorer, se perfectionner ; c’est négocier la transition. Toutes choses, par ailleurs, qui accompagnent le développement et l’innovation.
Fireeku est le thème de l’exposition inauguratrice que la BICIS consacre à une nouvelle page de ses liens historiques avec le monde de l’art au Sénégal. Ce nouveau chapitre intitulé « BICIS aime les Arts » instaure un dialogue en permanente résonnance avec la communauté artistique. Célébrer un esprit partenarial et négocier une transition pleine de promesses, passe par une expérience visuelle capable de réenchanter nos liens avec le monde. Cet espace donne voix à une jeune génération de créateurs en dialogue avec les ainés et dans un hymne commun à la société.
Logée dans notre ADN, la mutation est le foyer d’une perpétuelle construction du sens dont le terme est décliné dans plusieurs registres par les artistes conviés à cette édition. L’univers de Ibrahima Cissé alias Deb’s met en scène des êtres qui se démêlent dans une volonté pugnace d’exister et de se défaire de la nature. Cette frontière floue entre l’homme et la matière est la substance d’un défi qui instaure le doute en chacun de nous. Cette perplexité trouve un écho particulier dans le bestiaire de Aliou Diack qui explore les valeurs métamorphiques de la nature. Dans ses tableaux, on distingue à peine des formes rendues par le paysage ou retournant à ce dernier.
Le monde de Félicité Codjo ouvre une galaxie sur le moi et les humeurs, l’état d’âme et la hantise. Ses coups de pinceaux saccadés charrient des instants de fragilité où la force de l’humain se révèle subitement à celui-ci et lui rappelle combien il est tenace à endurer le fardeau de la vie. Quant à Arébénor Bassène, la mutation prend le sens de l’Histoire. L’artiste fouille sous la couche poussiéreuse des siècles, il gratte le vernis pour révéler le visage de l’odyssée africaine dont le narratif a tristement été perverti.
Chez Caroline Gueye, la mutation est insaisissable. Elle a lieu dans un angle mort qui défie notre compréhension du réel, puisqu’elle est dans le large spectre du quantique. L’artiste tente de la saisir, mais elle échappe à notre vision et à notre cognition. En jouant avec notre rétine, Abdoulaye Konaté a achevé l’alchimie du textile qui s’inspire du cosmos tout entier, galaxies et firmaments, astres et aurores boréales. La nature vivante se dépouille de ses couleurs et migre en harmonie dans ses toiles.
Les artistes nous convient à célébrer la dynamique, l’enracinement et l’innovation inscrite dans la créativité qui accompagne toute transition ancreé dans un terroir dont elle redessine les contours et rappelle les liens.
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