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Interview: Jean – Michel DISSAKE, artiste sculpteur camerounais

Avec quelqu’un comme Jean-Michel Dissake, il faut savoir lire…entre les lianes. Chez le sculpteur camerounais, c’est tout un symbole : elles s’emmêlent, s’entrelacent et «brisent les frontières», dans l’œuvre d’un artiste qui parle d’humain, de dialogue, d’équilibre, et d’unité, qui fait de nombreux emprunts à la biologie humaine et végétale, et qui s’amuse à donner une seconde vie à la «matière morte». Ses matériaux fétiches ? Le bois, la terre de termitière, les fonds de poubelle, et les lianes, toujours les lianes…

 

Et si vous vous présentiez aux lecteurs d’Africulturelle ?

Je suis Jean-Michel Dissaké, artiste contemporain de nationalité camerounaise. Je travaille sur la résurrection de la matière morte, en sculpture.

C’est-à-dire ?

Quand je parle de matière morte, ça veut dire en fait que j’utilise des matériaux recyclés. Je sculpte du bois, déjà, et en même temps je détourne aussi des matériaux recyclés, parce que ces matériaux-là me renseignent sur la couleur exacte de la société dans laquelle je suis inscrit, dans laquelle je vis.

Comment ?

En fait, pour savoir qui je suis, il suffit d’aller carrément dans ma poubelle : on pourra, en prélevant par exemple des emballages de ce que je consomme, savoir exactement qui je suis.

Parlez-nous de cette œuvre que vous avez présentée aux 8e Jeux de la Francophonie ?

Cette œuvre-là, elle s’appelle Dikalo la mudiki. En langue douala, ça veut dire «l’appel de la liane », c’est-à-dire l’appel à l’unité, et vous allez voir qu’il y a un tam-tam d’appel, pour parler de la communication, et en même temps une oreille pour parler de l’écoute. Je pense que si on réussit à dialoguer, à communiquer, avec une autre liane, qui est la langue française, nous pourrons retrouver la paix, l’équilibre et l’unité. C’est de ça dont je parle ici.

 

oeuvre de dissake

Oeuvre intitulée Dikalo la mudiki  Crédits photos: Jean Michel DISSAKE DISSAKE

Et ici au Musée des civilisations ?

Ici au Musée, j’ai fait une sculpture humanoïde, parce que je pense qu’aujourd’hui, l’humanité est en train de se transformer, qu’elle est en train de muter. Nous consommons et les frontières sont ouvertes, nous communiquons à travers Internet, le monde est devenu un village planétaire : il y a des cultures externes, des éléments externes que nous consommons tous les jours, sur le plan culturel, sur le plan industriel, même sur le plan religieux, et ça rencontre notre identité, et nous mutons, nous nous transformons. En fait la sculpture que j’ai présentée est le produit de la rencontre entre le passé, le présent, et le futur.

Je ne vous ai pas parlé des matériaux que j’utilise. J’utilise le bois, que je sculpte. Par exemple, pour ce qui est de « L’appel de la liane », c’est une œuvre que j’ai commencé à travailler en 2013, et après je l’ai abandonnée dans un atelier. J’ai d’abord sculpté du bois, et ensuite j’ai utilisé la liane. Pourquoi les lianes ? La liane, pour moi, symbolise l’entrée et la sortie du sang du cœur, c’est la sinusoïde de vie. Les lianes, ce sont les veines, ce sont les artères, ce sont les nerfs, ce sont les ondes. Quand vous observez, ce sont les lianes qui alimentent la forêt, les arbustes et les plus petits, en matières organiques et minérales. Elles brisent des frontières et établissent un dialogue. Dans le paysage, dans le milieu urbain, ce sont les câbles électriques qui symbolisent les lianes, qui transportent l’énergie électrique, et favorisent la circulation et la transformation des informations, sur Internet, sur le Web.

Un mot sur cette installation ?

Cette installation s’appelle « L’arbre de vie cosmique ». Ici, je parle de l’unité, je parle de la communion dans l’espace francophone, je parle du dialogue pour la paix, parce que, avec la paix, on peut contribuer au développement, et en même temps, je recycle aussi parce que j’ai besoin de retrouver l’équilibre, parce que le questionnement que je me pose aussi aujourd’hui à travers mon travail, et que je pose à l’humanité, est de savoir si c’est  la nature qui doit être au service de la technologie, ou la technologie au service de la nature. Et comme nous avons besoin de la nature, d’un monde sain, nous avons aussi besoin de la technologie. Que faire ? Il faut retrouver l’équilibre à un moment donné, il faut créer un dialogue, c’est pour ça que j’ai toujours recours, sur tous les plans, à la liane.

J’ai aussi utilisé la terre de termitière parce que, non loin de Yaoundé, il y a eu des termitières qui ont été détruites. Pour moi, quand j’observe des termitières, c’est toute une société qui travaille à la chaîne, ce sont de petites entités qui construisent des gratte-ciel à  un moment donné. Donc je pense qu’il faut s’inspirer de la nature, pour pouvoir rebâtir notre Cité.

oeuvre de dissake 2

« L’arbre de vie cosmique » Crédits Photos: Jean Michel DISSAKE DISSAKE

Comment avez-vous vécu votre participation aux Jeux de la Francophonie où le jury vous a décerné une mention spéciale ?

Ce que je veux dire, c’est que je remercie déjà l’organisation, malgré le fait que l’une de mes œuvres ne soit pas arrivée. Je remercie aussi l’Etat du Cameroun, qui m’a permis d’arriver jusque-là. Je remercie aussi la communauté artistique ; j’ai rencontré des gens plus jeunes que moi. Donc je pense que les Jeux étaient bons, et ça m’a aussi permis de voir le travail des autres, de voir aussi ce qui se fait ailleurs. Avant les Jeux de la Francophonie, j’ai exposé aux Etats-Unis, à la Cameron Gallery en Caroline du Nord, où j’ai aussi eu à faire des workshops dans des universités et des conférences, sur mon esthétique. Je travaille depuis 1998, et je suis dans le milieu professionnel depuis 2009.

Pour plus d’informations sur Jean Michel Dissake Dissake, une visite à kamerartdesign

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1 Commentaire

  1. Dissake je ne cesserai jamais d’ être étonnée par le talent et le génie que tu degages. Ta singularité, Ton engagement pour la sauvergarde de la nature et ta hargne au travail feront sans doute de toi le meilleur. Ô BOSSO.😙😙😙👏👏👏👏👏

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