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Eric Mbappé Bodoule Sosso : « J’ai pris une claque en revoyant Xala, La Noire de… »

Il dit de son documentaire Djambar, Sembene l’insoumis, en compétition officielle au dernier Fespaco, qu’il est né d’une «succession de rencontres» : Xala, que sa mère l’emmène voir au cinéma, la leçon de cinéma de Sembene à Cannes, Moolaade, réalisé par un monsieur qui avait plus de 80 ans, qui avait encore une « bonne pêche ». Le réalisateur franco-camerounais Eric Bodoule Sosso dit avoir justement retrouvé, chez Sembene, cette double-culture, autrement dit le refus d’une Afrique «recroquevillée» sur elle-même. Sembene, «l’insoumis», avait aussi son côté défenseur des plus faibles. Oui, dit Eric Bodoule Sossou, mais «sans fioritures».

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D’où vous est venue cette idée de faire un film sur Sembene, mais à travers les messages que Sembene lui-même a voulu lancer ?

Il y a forcément une succession de rencontres. Déjà, en 2005, comme je disais avant le début de la projection, j’étais ici, au Ciné Burkina, pour découvrir le film Moolaade, pour la première fois. Donc j’ai vu Moolaade, le dernier film de Sembene, ici même dans cette salle. Quelques mois après, je me suis retrouvé à Cannes, où il donnait la leçon de cinéma. Honnêtement, je connaissais quelques nouvelles de Sembene, Voltaïque, mais pas plus ; c’est-à-dire que je n’avais vu que Xala, mais je m’en suis souvenu bien après. J’avais vu Xala, gamin, ma mère m’avait emmené le voir, avec mon frère, et là quand j’ai revu le film, lors de l’hommage à Sembene à Amiens en 2007, tout cela m’est revenu. J’ai voulu faire quelque chose autour de Sembene parce que je trouvais que c’était un sujet fort. Lors de sa leçon de cinéma à Cannes, j’ai été surtout frappé d’entendre ce monsieur dire qu’à 40 ans, il laisse tomber femme et enfants et va étudier le cinéma à Rufisque. Vous vous dites là quand même qu’il y a quelque chose à creuser, ce type qui a cette fraîcheur-là, cette verdeur…Pareil quand j’ai vu Moolaade, j’étais étonné de voir que c’était quand même un film réalisé par un type de 80 années passées, qui avait encore une bonne pêche.

Donc voilà je me suis intéressé à lui, c’est un peu un concours de circonstances, et puis, comme dit Fatou Kandé Senghor, en revoyant des films comme Xala par exemple, La Noire de ou Borom Sarrett, j’ai pris une claque. Ce film-là, Xala, malheureusement, ça reste d’actualité. Il ne faut pas perdre cette mémoire-là ; sans prétention, je m’adresse plutôt aux jeunes, et si à l’issue de ce film, il y a des jeunes, que ce soit au Sénégal ou ailleurs, qui ont envie d’aller dans une bibliothèque, de trouver des bouquins de Sembene, en lire, ou qu’ils aient envie de revoir ses films, je me dis que j’ai fait mon boulot.

Sembene, personnage complexe, difficile…Comment entre-t-on dans cette œuvre-là, avec quelles précautions?

J’y suis allé avec mon cœur, et aussi avec tous mes questionnements, toutes mes contradictions aussi, parce que moi je suis né d’un père camerounais et d’une maman française, ce qui m’intéresse aussi chez Sembene, c’est cette double-culture, c’est-à-dire que le métissage, il n’est pas seulement biologique, pour moi il est d’abord culturel, et je trouve que Sembene, comme d’autres de sa génération, c’est un très bon exemple, parce que toute la période de sa vie, comme docker à Marseille, a été déterminante. On ne va pas revenir là-dessus. Il faut aussi savoir que chez lui, Sembene mettait tous les matins, régulièrement, de la musique classique. A un moment il s’amusait du fait que sa mère lui disait : «Mais tu n’écoutes pas de la musique ce matin ? » Donc c’est ça quoi, que l’Afrique ne doit pas rester recroquevillée sur elle-même, elle doit se saisir de tout, c’est une espèce de Les Afriques, c’est un grand laboratoire où il se passe des choses intéressantes et, comme le dit Haile Gerima dans le film, on envoie toujours une représentation négative de l’Afrique, ou des Afriques, et là je pense que c’est plus vous, la jeune génération, qui allez devoir proposer, recréer, inventer montrer une nouvelle chose au monde, parce qu’il est temps.

Quand vous mettez cette œuvre de Sembene en parallèle avec ce que font aujourd’hui les cinéastes, et ce que vous voyez comme images de l’Afrique, à travers le cinéma, vous vous dites qu’on a compris, ou qu’on n’est pas sur le chemin ?

Déjà ce serait prétentieux de ma part de dire quel est le chemin…Je pense que ce qui est important, c’est de comprendre et d’accepter, soit au Sud ou au Nord, que les choses sont en train de se faire, sont en train de bouger en Afrique, et qu’il faut arrêter de toujours renvoyer ces images négatives de l’Afrique. C’est ce que dit Chérif de Cinegal Pictures, (Cherif Ace Faty, Ndlr), c’est une guerre des images, il a raison. Il y a des morceaux d’interview qu’on n’a pas utilisés, et Chérif dit aussi : « Attention, nous on fait du cinéma, il y a les séries télé, je n’ai rien contre les séries, mais il ne faut pas non plus que la télé dévore tout ». Pour découvrir le patrimoine cinématographique, il faut qu’il y ait des cinémas, et c’est en train de se faire chez vous, parce qu’au moins, au Sénégal il y a une prise de conscience de l’importance du fait culturel. Ce qui n’est malheureusement pas encore le cas dans tous les pays d’Afrique.

C’était important pour vous de réunir des générations différentes, autour d’un homme ?

C’était important pour moi de réunir des générations différentes, par la magie de l’image, aussi, comme vous avez pu le constater, des gens qui sont décédés, mais qui, pour moi, et j’espère aussi pour le public, sont toujours vivants, qui sont là, à l’image, en train d’établir des ponts entre les deux continents, parce que les idées circulent, et il ne faut pas s’enfermer : on a tous à gagner à se rencontrer, à partager, et Sembene l’avait compris.

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Au-delà du Sembene « insoumis », vous avez aussi montré son côté défenseur des opprimés ?

Mais en même temps, sans fioritures, c’est-à-dire que quand Fatou Kandé Senghor raconte cette anecdote où il fait peur aux mendiants, bon, en même temps c’est aussi Sembene dans sa vérité, dans sa «brutalité», dans ses contradictions (on est tous humains), parce que ça ne sert à rien de larmoyer. A la fin on remet justement ce passage de « Guelwaar », je crois que c’est très clair : le refus de la charité.

Au passage, je tiens à dire que je n’ai pas rencontré l’acteur de « Guelwaar », mais je sais qu’il est mort dans la misère, et là aussi ça dit des choses sur l’absence de prise en compte du fait culturel, même si, chez vous, ça commence à démarrer très sérieusement, mais au passage je trouve anormal que le Monsieur de Guelwaar soit mort dans des conditions bizarres.

Dans le documentaire, il y a beaucoup d’extraits de ses films, depuis Taaw, dont peu de gens ont vu les images, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées, parce qu’après sa mort, il y a eu le problème de l’utilisation de ses images ?

La grande difficulté, c’est qu’on avait d’abord fait, avec le monteur, une première version en 2008, à partir d’interviews, d’extraits. On n’a pas trouvé de financements, donc on a dû reprendre, recommencer, et à un moment je me suis dit «tant pis, je ne vais pas bloquer sur tous ces problèmes de financements, pour les droits, on va d’abord faire le film, essayer de le monter, en termes d’images et de son…Et là maintenant il y a un nouveau marathon, c’est de terminer les négociations, commencer certaines, pour régler tous ces problèmes de droits, de façon à pouvoir le diffuser tout à fait normalement.

En juin 2017, cela fera 10 ans que Sembene nous a quittés. Votre film pourrait-il entrer dans le cadre d’un hommage ?

Ça ce n’est pas à moi d’en décider, on verra bien. Si on fait un film, c’est pour qu’il soit vu, après moi j’ai fabriqué, là j’ai pas mal de choses administratives à régler, et après on verra, étape par étape.

Il y a quelqu’un dans le film qui dit de Sembene, que c’était un « mécréant ». Un mécréant, c’est quelqu’un qui ne croit en rien. On peut ne pas être musulman, catholique ou juif, et être croyant ? Quand on dit mécréant, cela peut porter à polémique ? Vous intégrez tout cela ?

Si j’ai montré ça, c’est que je l’intègre et que j’assume.

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