ARTS VISUELS

Critique: L’éclair de la voix

 

« Soudain, l’éclair me point ».

Ikram Ben Brahim 

Dans le plus profond silence, le spectacle de l’air éclate et s’éclate en éclair. Il commence à s’offrir en paroles de paix et de liberté pour découvrir ses qualités souterraines. Dans le même instant, ce spectacle éclairé et éclairant prend mille voix. Quand l’air prend voix, le collectif Plein’Art ouvre une voie qui voit l’éveil spirituel. De l’air, de l’air, de l’air…Nous voulons de l’air pur, de l’air intérieur qui révèle notre éveil et tisse notre parole. Au-delà de cette parole, on porte la voix comme on est portée par elle. Une voix mutique qui se fait comme le porte-appel de toutes les voix, afin d’être une fenêtre aux ombres mouvantes.

 C’est au musée archéologique de Sousse en Tunisie, que chaque membre du collectif « Plein’Art » chante un air libre qui vibre en éclair. Il s’agit notamment d’une vidéo performance intitulée « L’éclair de la voix » qui présente une voix du dedans qui est la manifestation des voix du dehors ; comme si nous pouvions déceler dans ce mouvement du dedans vers le dehors une véritable éthique de la voix en éclat et en éclair. Ces traces transmises par les voix du dehors s’éclairent par des symboles spirituels qui flottent dans et par l’air. Respirer l’air pur et par là-même rester en vie. Il peut donc y avoir une voix silencieuse, qui ne « parle » pas mais qui sert à exprimer ou extérioriser un message signifiant, afin d’intérioriser une présence de l’être en un instant-éclair. 

Une parole muette adressée à l’esprit et advient dans la voix et comme voix. En ce sens, la voix signifie : donner son avis. Heidegger souligne que la « voix est comprise dans le sens de donner à comprendre ». Elle est par conséquent une composante essentielle de la parole qui s’ordonne comme une « porte qui ouvre sur le silence », écrit Michel Poizat. Dans le cadre de cette vidéo performance, la voix est un outil de critique de la vie sociale et de l’environnement. D’un souffle léger, se tisse un langage qui révèle les mystères de la voix car « (…) l’essence du langage a jailli comme un éclair dans la lumière de l’être », ajoute Heidegger. Que devient le langage dans cette thématique de l’éclair ? À travers cette vidéo performance, peut-on interpréter ces voix naissantes dans l’air comme chargées d’intentions signifiantes ?  Que dit la voix mutique ? Que suggère-telle ? 

En sa présence muette, se construit un langage qui se voit en symboles d’éveil. Chaque symbole souligne la permanence d’une pensée de l’être à travers l’ambiguïté de l’intériorité et de l’extériorité. Cette voix peut raconter l’imagerie d’une société et toucher l’autre qui, en retour, doit changer son imaginaire face à son environnement. C’est une voix qui ouvre et s’ouvre sur un horizon de changement et de transformation, de l’éclair et de lumière. Ainsi, elle devient un signe laissant la place à une autre voix sous une forme de l’in-signe. Autrement dit, il s’agit de l’effacement des voix au profit de la Voix ou de « LA GRANDE VOIX » comme elle est nommée par le poète Henri Michaux, que seule l’oreille du cœur peut l’entendre.  Paul Valéry parle de « divinisation de la voix » où elle fait entendre sa substance originelle. Aussi, comme si les voix, en se taisant, nous permet de retrouver la part la plus obscure de notre réalité. 

Le collectif « Plein’Art » est en quête non seulement des voix du dedans de l’être, mais aussi des plis de la réalité.  « L’éclair de la voix » tend à révéler un mystère : celui de l’être. Cette voix est présente comme une énigme qui en même temps suggère un avenir affranchi de toutes limites. Il y aurait dans la voix une présence invoquante et convoquante, accueillant le devenir de la réalité ; accueillant la liberté autant que ces limites. Chaque membre/lumière tend à porter une voix devenue unique, mutique ou trop intériorisée qui engage des phénomènes de souvenance et de revenance. À la fin de la vidéo performance, cette voix unique se retourne et s’en retourne vers l’éclair et l’éveil en un instant impressionnant. En d’autres termes, les voix palimpsestes présentées par les membres du « Plein’Art » se ramènent à l’unité de l’harmonie silencieuse comme un poème collectif de l’âme. Par le silence « actif » ou le silence plein de voix, l’âme s’ordonne autour de l’unité et « devenir ce qu’elle est », devenir transparente à elle-même. 

C’est pourquoi, « L’éclair de la voix » n’est qu’errance, alternance de remembrance, espérance, incarnation, appel de la temporalité qui résonne et s’écoute dans le silence. Ou encore, poétique de l’entrelacs, du passé et du contemporain. L’idée de cette vidéo performance surgit d’une voix née dans l’instant-éclair, dont l’apparition est simultanément synonyme de disparition. Cette voix s’élève des profondeurs et s’énonce en autorisant le passage à l’éveil, la liberté et la paix intérieure. Il s’agit de faire remonter à la surface de la voix les états internes d’émotions en les jetant à l’extérieur d’elles-mêmes. Cette vidéo performance a pour corrélat une perception ontologique de la voix/éclair qui désigne une aptitude à s’harmoniser avec autrui. Nous passons du statut de voix unique à une vocation éthique. Une couleur de la voix, une couleur à chacun…Chaque membre du « Plein’Art » a tissé un porte-voix en utilisant du carton, du papier et en choisissant une gamme monochromatique, afin de retisser la voix intérieure sur l’élan du souffle. 

Cette voix intérieure est chargée d’un fond multiple d’où elles émergent : voix/souffle, voix/appel, voix/signe et voix/geste car « la voix en est le geste », écrit Levinas. Les membres du collectif s’arrangent pour que la voix s’appuie explicitement sur un geste qui se déchiffre du dedans et déchiffre les signifiances de cette voix intérieure. En exploitant le souffle, l’éclair de cette voix permet de susciter une émotion. Cette vidéo performance est d’ordre mystique car le souffle donne la vie et maintient la voix en éclair et en éveil. Comme l’ajoute Levinas « La spiritualité a d’ailleurs précisément le souffle pour étymologie, mais qui dit spiritualité dit moment, alternance de la matière et de l’immatériel ». En ce sens, la voix est à mi-chemin entre le dire et le non-dire, la matérialité et l’immatérialité. C’est son au-delà qui détermine la force de l’éclair. Respirer, bouger, passer d’un état unique et continu à un état multiple et discontinu pour retrouver la voix, voire son éclair. La quête de l’éclair de la voix progresse en direction du regard, du geste et du corps. La voix n’est pas isolée du corps et le corps n’est pas isolé du monde. C’est une totalité. Chaque regard en « Plein’Art » nous encourage sous une douce image de mettre en avant une singularité à un corps social, afin de respirer l’air pur dans et par le silence.

Ikram Ben Brahim

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