Le cinéma, miroir de nos sociétés ?
‘’Cinémas d’Afrique et culture de la paix’’ est le thème de la 28e édition du Fespaco. Un colloque est organisé par la Délégation générale du Fespaco dans ce sens. Hier, le Pr. Maguèye Kassé a fait une communication sur le ‘’Cinéma, miroir de nos sociétés’’.
Professeur titulaire des universités au Département de langues et civilisations germaniques de la faculté des Lettres et sciences humaines de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad), M. Maguèye Kassé a présenté une intéressante communication hier au colloque organisé dans le cadre de la 28e édition du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou. Elle portait sur le ‘’Cinéma, miroir de nos sociétés’’. ‘’En quoi le cinéma devrait-il être le miroir de nos sociétés ?’’, se demande-t-il. ‘’J’utiliserai (…) une idée que j’avais développée quand j’étais commissaire général de la Biennale de l’art africain contemporain Dak’Art en 2008, avec la problématique de la métaphore du miroir. Le thème en était Afrique : miroir ?’’.
Il s’est penché sur l’histoire des cinématographies africaines. ‘’Ayant eu le bonheur de participer à différentes éditions du Fespaco, je puis affirmer que nous devons interroger ce qui a été à la base des idées des pères fondateurs du cinéma africain, de l’Afrique du Nord (Tunisie, Égypte, Maroc, entre autres) à l’Afrique subsaharienne (Sénégal, Mali, Burkina Faso, Cameroun). Ce cinéma s’est inscrit, dès le départ, dans la perspective de la libération de l’Afrique de différents jougs (économique, social, culturel), libération de l’aliénation culturelle imposée par la colonisation et dans celle de la construction d’États-nations, prenant en compte en se l’appropriant et le fructifiant le legs de nos sociétés, surtout au plan culturel. Il fallait rétablir les cultures dans leurs fonctions premières, les débarrasser des travers imposés par un système de domination qui les a niées, voire spoliées et dévoyées’’, a indiqué le Pr. Kassé.
Il considère que le ‘’ cinéma africain devait présenter d’autres réalités à des fins d’éducation ’’. Mais tout n’a pas été facile. ‘’Différents genres se sont côtoyés pour faire litière et contrepoids au cinéma ethnographique d’antan pour présenter dans le court métrage, le long métrage de fiction ou le documentaire des réalités africaines avec lesquelles les Africains pouvaient s’identifier’’, a-t-il relevé.
Mais cela ne suffisait pas pour transformer les mentalités dans le sens d’un progrès bien compris qui intègre des phénomènes imposés par la mondialisation. ‘’La gageure était de montrer, d’un point de vue esthétique, ces réalités dans leur développement contradictoire’’, selon le Pr. Kassé.
Il a relevé l’importance de l’écriture dans le cinéma, mais également l’appréciation du septième art dans son ‘’présupposé miroir’’ peut faire aux sciences sociales ou économiques. ‘’Le miroir dont il est question ici est celui que le cinéaste engagé dans les luttes de son temps met dans sa création. Il est donc chargé de symbolique et utilise un procédé esthétique tel qu’on le retrouve dans d’autres arts (…) ou dans la littérature, à l’exemple du cinéaste et écrivain Sembène Ousmane, père du cinéma africain au sud du Sahara, ‘’l’aîné des anciens’’’’, a-t-il cité.
En effet, a déclaré le Pr. Maguèye Kassé, Sembène Ousmane, dans le réfléchissement des problématiques à caractère idéologique, politique, social et culturel, a pris en compte la problématique du réalisme dans la création artistique. Ce, grâce à sa technique narrative et ses procédés esthétiques.
Par ailleurs, a-t-il affirmé, ‘’le miroir médiatise l’image qu’il transmet et cette image est associée à une seconde idée, l’identité. Celle de l’Africain débarrassé des caricatures qu’on lui imprime, entraîne une perception de soi (…), rester le même dans le temps’’.
Ainsi, ‘’cette identité nouvelle à laquelle le cinéma singulièrement, mais aussi généralement l’art africain contemporain n’a pas peu contribué, est définie alors comme un système fait de sentiments et de représentation, et posé par des actes de séparation, d’autonomisation et d’affirmation, de différenciation cognitive et d’opposition affective’’.
À travers un argumentaire bien construit, le Pr. Kassé a démontré que la métaphore du miroir peut apparaître comme un ‘’prétexte intéressant pour poser l’image réfléchie comme moyen et source d’interrogation sur soi et l’autre, sur ce qui fonde son être-là, c’est-à-dire son existence, donc son environnement, d’une part. D’autre part, l’image réfléchie et maîtrisée dans ce qu’elle a de réel, n’invite plus uniquement à une contemplation de soi, mais induit un processus de transformation relativement à l’environnement du sujet, ce qui est le propre de l’art, c’est-à-dire habileté à transformer, du brut au beau’’.
Ainsi vu, le septième art traduit des points de vue et réfléchit par l’intermédiaire de partis pris esthétiques des réalités, selon le conférencier.
Eu égard à différentes considérations qu’il a partagées au cours de sa conférence, M. Kassé a indiqué que ‘’l’Afrique et ses arts, dont le cinéma, ne peuvent plus se suffire de déconstruire des images et des discours produits sur leurs identités. Encore moins peuvent-ils participer à ces discours en se contentant de rendre transparentes des images réelles, mais peu valorisantes de situations au demeurant objectives. Celles-ci tournent autour des conséquences du sous-développement et de ses dérivés comme la pauvreté, les problèmes de survie physique, de production et de consommation, de l’urbanisation galopante, l’émigration clandestine et son traitement chez Mati Diop et ‘’Atlantique’’, la fuite des cerveaux, la faim, la question de l’État et de la gouvernance, la guerre, les conflits, la dégradation de l’environnement, les systèmes de santé et d’éducation défectueux, l’aliénation culturelle, l’emploi’’.
Le Pr. Kassé a toujours développé d’autres idées, toujours pour répondre à la question qu’il a posée en commençant sa conférence.